André Velter,
La Vie en dansant
et L’Amour
extrême, poèmes pour Chantal Mauduit
À « qui vit sans folie n’est pas si sage qu’il croit » de La Rochefoucauld, André Velter a répondu : « J’ai dansé sagement, comme un fou. » La Vie en dansant, ce livre écrit durant cinq ans restera inachevé, comme déposé aux pieds de deux mortes. Celles-ci se sont succédé de peu, en 1998. La dernière, Chantal Mauduit, « avait recopié et appris par cœur » le dernier poème du livre « pour s’en aller le dire en haut du Dhaulagiri, la montagne qui devait lui être fatale ». Le titre est demeuré inchangé. Le défi paraissait alors joyeux, insouciant. La tragédie n’interdit pas la fidélité. L’éclairage initial en sort grandi.
Ce livre marqueté de proses bouillonnantes, de saluts à des peintres et quelques poètes à travers une noria de versets, de chansons enfin dans l’esprit de Carco et de Vian, vibre en effet d’une gaieté par endroits enragée. Domine une volonté de tout saisir, de tout retenir et, plus que tout, de l’insaisissable. Parfois c’est une insurrection de syllabes au milieu d’un tango. Ailleurs, l’infini passe la tête entre des barreaux. Il y a bien en effet « le cobalt qui hésite / entre l’aube et la bombe / le titane qu’on étend / le tantale qu’on titille ». Il se découvre aussi, comme au fond d’un puits de lumière, cette vérité toute nue : « Des gisants il ne reste / que du papier journal, / un peu d’effroi froissé / contre des bouches closes. / Le sommeil efface toute trace // et nos tombeaux. »
L’ensemble se situe dans la lignée du Haut Pays, paru en 1995. Le poète cherche une issue, sachant l’horreur du vide dévolu au monde des marchands. Velter redit à coup de formules plus fortes que des poings sur la table l’exécration de la loi du plus fort, toujours plus féroce dans son fric et dans son froc. L’Occident semble alors perdu. « Nos têtes ne sont plus que des enclumes faussées. » Il faut donc changer la poésie. « J’avoue que je ne suis qu’autant que je m’évade. » En quête d’un autre nord, l’artiste de chair rythmée cherche ses images « dans l’inconnu du monde » et plus particulièrement dans les marges. C’est là qu’il salue, dans ce livre confraternel jusque dans ses accents, des peintres. Parmi ceux-ci, Rebeyrolle lui-même a salué Courbet. Et soudain on croirait surgir Flaubert, sans sa mentonnière : « La vulve ébouriffée est de rude éloquence. » Des richesses, pas seulement verbales, ruissellent ainsi à presque chaque page de La Vie en dansant. Ce qui est cherché là, c’est non l’ascèse mais franchir « les portes du temps ». — Continuer la lecture…
Pierre Perrin, la Nouvelle Revue Française, n° 554 – juin 2000