Festina lente de Nadine Ribault, Actes Sud, 2000

Nadine Ribault, Festina lente
éditions Actes Sud, 2000

Lumineusement entretissé, à l’entour de quelques dialogues, de fins monologues intérieurs, eux-mêmes insérés dans des évocations de plaisirs de toutes sortes, de bords de mer du nord, d’un sourd éclat comme on peut se représenter la Flandre, ce premier roman est un enchantement. Il met en scène une quinzaine de personnages. Une famille, dont le père avait enseigné à Boulogne et qui est venu vivre avec sa femme et ses deux filles à Wimereux, en constitue le centre. Trois époques se succèdent : d’abord trois jours d’été que clôture un baiser ; puis quinze mois plus tard, en quelques jours d’octobre déclinant, le premier point d’orgue d’une longue attente ; enfin, six ans après des bilans se font jour. Des couples ont grandi, d’autres se sont défaits. Mais débités de la sorte les faits n’offrent rien de la pulpe, de la saveur ni de la profondeur qu’ils prennent, comme la moire d’une étoffe, sous la plume de Nadine Ribault.

Le fond de ce roman donne plus qu’à comprendre, presque à effleurer l’intimité de chaque personnage. L’amour y règne à la façon de l’air qu’on respire. L’auteur tisse sa toile avec la délicatesse et l’agilité d’une araignée. Elle parvient à saisir et à rendre les mille petits riens qui font de chaque être un secret, une sorte de coffre-fort aux parois faussement réfléchissantes, que nul n’ouvre jamais et peut encore moins forcer. Elle révèle les rouages de l’incommunicabilité foncière, jusque dans les couples les plus lumineux en apparence. Celle-ci tient à la part d’inconscient, par nature inexprimable, que chacun recèle ; aux aigrettes du désir et des sentiments, sans cesse changeantes ; à cet « imbroglio de fibrilles invisibles », en vrai pays de Cocagne qu’est l’âme de chacun. Nadine Ribault excelle à chaque mouvement qu’elle enregistre : « L’un et l’autre sentaient se tortiller en eux des pensées troubles et des tracas. L’exaspération montait, le cœur dansait un quadrille endiablé, parler devint une nécessité. »

Tout fait signe : un nerf qui bat sur une paupière à vif, la lenteur d’une goutte de pluie le long d’une vitre, telle question éludée presque sans y penser. L’amour en vigueur dans ce Festina lente, plus suggéré dans une sensualité de tous les instants que porté vers le sexe, se présente comme un état composite. Ce qui domine, c’est l’attente, soit en chair et en os, l’autre au loin, soit en esprit et dans le cœur : et seule peut l’apaiser la manifestation de la part de l’autre d’une attention de tous les instants. L’oncle, peintre et victime d’une passion qui aura duré un an, est convaincu « qu’on passe toujours à côté de ce que désire un être humain ». Le zèle et la bonne volonté restent honorables toutefois, tandis que ce roman va bien au-delà. Car la dernière partie s’augmente d’une évocation de l’âge, à travers le personnage de la mère, admirable. Un éventail est discrètement entrouvert. Certains portent le passé comme un regret ; d’autres, muets, se résignent ; d’autres encore éprouvent une satisfaction absolue. Chacun tour à tour, selon l’heure, la lumière du jour, un regard, peut affleurer l’un et l’autre de ces sentiments ou s’abîmer de tristesse.

Tels sont quelques-uns des plaisirs, parmi celui, souverain, de la langue ici servie, que réserve ce premier roman, intimiste comme l’est Le Temps perdu, dans sa saisie plus mesurée mais pleine. Il n’y a pas là de promesse ; le fruit est à maturité. Sa saveur comme la musique de Nadine Ribault ne sont pas près de s’éteindre.

Pierre Perrin, La Nouvelle Revue française n° 556 – janvier 2001

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