Marcel Aymé, Françoise Henry, Yves Ravey et Michel Embareck [in Pays comtois, 2003 et 2004

Marcel Aymé, F. Henry, Yves Ravey, M. Embareck
par Pierre Perrin dans Pays comtois, 2003 et 2004

Ce Cahier Marcel Aymé n° 19-20 compte 240 pages et révèle avant tout un inédit, Henri IV, écrit à bride abattue au début de la deuxième guerre mondiale. Si toutes les vues ne sont pas neuves, la leçon vaut plus que le détour. Le bon roi “caressait ses ennemis et trahissait les siens avec une gentillesse qui faisait tout oublier”. La réédition en fin de volume d’une notice de 10 pages consacrée à Hugo s’avère un autre délice. On n’est pas là dans le sillage d’un Thénardier des Lettres. C’est de la première main, et relue. Ces pages de Marcel Aymé sur notre géant comtois pétillent d’intelligence. Ajoutez à cela l’humour des dialogues écrits pour La Bourse et la vie, le film de Mocky (1965), et vous obtenez un régal, de surcroît illustré. Lire Aymé, c’est plus qu’aimer lire. C’est l’effet centrifuge du génie. — Pays comtois n° 47 – mars-avril 2003

Françoise Henry, La Lampe, éditions Gallimard. Cinquième roman de cet auteur comtois, la Lampe est une réussite. Au fil de quelques jours d’hiver sous l’Occupation, une petite couturière tient sa lampe allumée. La solitude lui intime l’ordre de braver inconsciemment le couvre-feu. Qui dérange-t-elle ? Pas même un papillon, son premier compagnon de hasard. L’action est ténue ; l’introspection la remplace à ravir. « Comment devient-on si seule ? Comment oublie-t-on qu’on peut être aimée ? Mais ce n’est pas difficile du tout, ça va très vite au contraire. » La fin de l’histoire n’en est que plus rude, émouvante. Françoise Henry conjugue la simplicité, la subtilité, l’exactitude de tous les détails. Elle excelle dans la restitution des souvenirs d’enfance, ainsi que sa consœur, Françoise Lefèvre dans Alma ou la chute des feuilles [aux éd. du Rocher]. Françoise Henry apporte une attention si parfaite aux êtres et aux éléments que son récit infuse encore dans la mémoire, longtemps après qu’on l’a refermé. — Pays comtois n° 48 – mai-juin 2003

Yves Ravey, Le Drap, éditions de Minuit, 80 pages, 8 € — prix Marcel Aymé 2004. Si vous doutez que la littérature est veuve de Dieu, lisez Ravey. Si l’écrivain s’agenouille encore, c’est devant le degré zéro de la transcendance. Le Drap, en effet, forme un livre blanc. Il est près de dématérialiser la matière. Littérairement parlant, la langue est réduite à sa plus simple expression, l’image interdite. C’est donc presque cliniquement que le narrateur, un certain Lindbergh, narre les six derniers mois de son père, ouvrier d’usine. Une vocation contrariée, un mariage noir, une vie étriquée non sans aigreur, voilà tout. Pourtant, ce livre sec ne laisse pas indemne. En choisissant cette modernité à ras de terre, Ravey témoigne de l’humaine condition. Naturellement sans grade, l’homme se dégrade encore. La poussière reste, dans cet esprit, le corps même du vivant. — Pays comtois n° 50 – septembre-octobre 2003

Michel Embareck, Rubens, roman, éd. l’Écailler du Sud, 2004. Au format de poche, d’entrée de jeu comme pour un roman policier, en plus concis encore, tel apparaît ce beau petit volume. L’histoire est celle d’une rencontre amoureuse dont le plaisir est subtilement différé. L’enjeu, c’est la présentation de soi. Dans ce rapprochement de Rubens, une femme au-dessus de tout soupçon, tout invite notre héros à reconsidérer son parcours. Cela lui vient naturellement, car son métier l’a conduit à être « un chasseur d’ombres mortes ». C’est dans ce va et vient, du passé envahissant à la quête de l’amour, que se construit le roman. Les beignes restent, plutôt que les beignets. Le cœur écume, d’avoir été gros. Plus la douleur est singulière, plus la voix qui la porte, à condition qu’elle révèle un style, peut devenir universelle. C’est le cas chez Embareck. Sa voix intérieure est délivrée par une langue en état de perpétuelle invention. C’est vif, intelligent et cela pose une vision du monde sans doute pessimiste, mais d’une justesse imparable. Un régal. — Pays comtois n° 56, septembre-octobre 2004

Pierre Perrin, Pays comtois n° 47, 48, 50 et 56, années 2003 et 2004

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