Jean-Noël Pancrazi, Madame Arnoul, Gallimard, 1995

Jean-Noël Pancrazi, Madame Arnoul
édit. Gallimard (Collection Haute enfance), 1995

La réussite de ce bref récit d’une enfance en Algérie, tandis que la France y faisait la guerre, tient sans doute à trois facteurs. D’abord, le sentiment constant d’une véracité; en effet, nombre de scènes, l’attentat au cinéma, la douleur au cimetière, le traumatisme de Bambi, les soldats campant sur la cour de l’immeuble, leur ivresse et leur désenchantement, l’attitude de l’oncle ayant rejoint les rangs de l’O.A.S., ou encore cette remarque : mon père « n’osait plus déployer Le Monde et se contentait de le lire, plié en quatre, en secret, à la lueur de la lampe-tempête», tout cela, semble-t-il, a dû être vécu — si «fidèlement» rapporté.

Ensuite un art de la discrétion parfaitement maîtrisé. Tout est suggéré, les faits, les actes, les sentiments. Les personnages existent, ceux de «la Maison», sans que leurs contours soient trop appuyés. Madame Arnoul, venue d’Alsace, malheureuse en ménage, de qui le narrateur s’éprend comme d’une seconde mère, et elle le lui rend bien, semble être passée du côté des Arabes, etc. suscite, au-delà du rêve, de l’émotion. L’évocation, la présence, à quatre reprises, dans le récit, de l’enfant Mohammed Khair-Eddine à l’école et au collège, est également très émouvante, car elle accrédite l’amitié par-delà les races, cette fraternité que montre Pancrazi entre nombre de colons et de colonisés.

Enfin, c’est bien le moindre mais ce n’est pas si fréquent, le style est particulièrement heureux. Non seulement chaque phrase obéit à un rythme, mais encore, les sensations occupent une grande place dans l’écriture de Pancrazi qui écarte toute banalité et invente des images neuves. «Nous courions, presque nus, autour de la table en saisissant au passage, parmi les bouquets défaits, des branches d’églantiers réduites à leurs épines. On s’en flagellait ensuite en se poursuivant sur les galeries avant de plonger dans l’eau des bassins des buanderies. Étendus sur les dalles encore tièdes de la terrasse et couverts d’égratignures, nous riions sous les étoiles tels des martyrs heureux».

Véracité, discrétion et en même temps clarté de la pensée, perfection de l’écriture, telles sont les qualités de ce récit qui confèrent un bonheur de lecture durable.

Pierre Perrin, La Bartavelle n° 2, juin 1995


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