Hélène Dorion, Portraits de mer [éd. de la Différence]

Hélène Dorion, Portraits de mer
[poèmes, éd. de la Différence, 2000]

Hélène Dorion est née à Québec en 1958. Il y a dix ans, elle publiait au Dé bleu deux ouvrages qui auguraient d’un talent plus que prometteur. La maîtrise éclatait en de nombreuses pages. L’auteure, ainsi qu’elle s’écrivait elle-même, prenait ses distances avec l’amour et les va-et-vient de l’émotion. Elle entrouvrait les portes de l’imaginaire, à se souvenir de ce qui n’avait pas eu lieu. Elle écrivait aussi : « Le temps passe et ai-je seulement commencé à vivre ? »

Quel trait de feu parcouru, en peu d’années. Non seulement Hélène Dorion compte désormais parmi les grandes voix, mais elle accède au cercle de la longue mémoire, car elle chante l’essentiel. Portraits de mer en effet, malgré la subdivision en neuf parties, forme un seul long poème métaphysique. L’âme, que certains vomissent, reprend corps en cet ouvrage. Elle est ce qui nous dépasse, à commencer par l’esprit. « Ce qui naît demande à mourir. »

À regarder « chaque année en bordure de l’autre / […] dans la répétition d’exister », le choix d’Hélène Dorion est, plutôt que de chercher un asile ou d’échapper au temps par on ne sait quelles pratiques, d’acquiescer à l’évidence, de se hausser à la double contemplation de la beauté autour de soi et au-delà de soi. Il ne s’agit pas de s’effacer, mais de s’élancer vers l’inconnu. Hélène Dorion sonde « l’énigme, sourde à son écho » et découvre que l’âme aussi s’enracine au monde.

Elle approche, pour une interprétation encore différente, de ce qu’avaient dit le poète latin Martial pour s’en moquer, puis Jean de la Croix pour l’adorer, et Martial de Brives entre autres pour le déplorer : « Ce qui meurt me brûle / et je ne sais encore brûler / du feu de ma vie. » Un tel constat trouve sa place vers la fin du voyage. C’est l’heure où l’on se sent cette « imparfaite créature parmi le périssable / ne connaissant du mystère que sa trace visible ». Le suspens reste ménagé.

Si « Dieu veille », en effet, c’est à la seule dernière page du poème. Entre temps, le consentement « à l’obscure matière / que forme la lumière » a permis que l’âme enfin soit « comblée dans l’attente ». Par-delà cette Odyssée de l’âme, certains passages parmi les plus nourris et dont le nombre de strophes excède la page atteignent au chef-d’œuvre. C’est peu dire que ce livre exigeant, jusqu’à une adhésion du lecteur, est à lire. Il est de ceux qu’on ne peut pas ne pas relire.

Pierre Perrin, Poésie1/vagabondages, n° 24, décembre 2000

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